Bâtiment durableL’Europe, terre d’innovation en bâtiments durables

Par André Bourassa | Publié le 01/22/15

Article original paru dans La Maison du 21e siècle, Printemps 2014.

Depuis plus de 25 ans, nos principales sources d’inspiration pour la construction de maisons saines et respectueuses de l’environnement sont davantage européennes qu’américaines.

Ayant été confrontés à des coûts d’énergie beaucoup plus élevés qu’ici, fort longtemps les Européens ont accepté des conditions parfois minimales de confort. Mais cela ne suffisant plus, graduellement ils ont inscrit dans leurs codes de construction des normes d’isolation élevées. Cela peut surprendre étant donné la différence entre les climats européens et le nôtre, plus froid en hiver. Outre l’efficacité énergétique du bâtiment lui-même, la réglementation française tient compte de l’efficacité de la source d’énergie, considérant par exemple le gaz naturel comme un moyen plus efficace de chauffer les locaux que l’électricité de source nucléaire.

L’esprit d’ouverture manifeste dans ces codes a permis la mise en place de mécanismes menant l’accréditation de techniques utilisant des matériaux biosourcés, à base de substances organiques renouvelables. C’est ce qui a permis d’inscrire dans ces codes les valeurs isolantes de certains matériaux végétaux, comme la paille. Il est donc maintenant possible, pour les professionnels du bâtiment, d’utiliser ces valeurs pour la conception des murs de bâtiments publics et privés. Étant donné la similitude entre les exigences des codes européens et les nôtres en matière d’isolation et d’étanchéité à l’air, on peut s’attendre à atteindre des performances intéressantes en utilisant les nouvelles techniques de construction européennes dans nos climats canadiens, d’où l’intérêt notamment d’utiliser des logiciels de simulation européens tels que WUFI (chaleur et humidité transitoires, en allemand), qui calcule de façon réaliste le transfert de chaleur et de vapeur dans les composants d’un bâtiment. Il permet d’évaluer, par exemple, le temps de séchage d’une maçonnerie emprisonnant son humidité de construction.

Voici quelques autres tendances européennes qui nous inspirent particulièrement.

LE BOIS

Contrairement à ce que nous pourrions penser, les forêts d’Europe produisent plus de bois que ce qui est utilisé dans la construction et l’industrie manufacturière. Cela grâce aux nombreuses plantations et au jardinage forestier qui prévalent sur les parcelles forestières des campagnes depuis des décennies et aussi aux habitudes de construction en béton et maçonnerie. Bref, la forêt européenne s’agrandit. Le minuscule Vorarlberg, Land ou État le plus occidental et le plus prospère d’Autriche, région européenne où on compte la plus grande superficie de panneaux solaires (près de 0,5 m2) par habitant, a aussi une longueur d’avance dans l’utilisation imaginative du bois pour la construction. Plusieurs industries fabriquant des matériaux de bois d’ingénierie y sont installées et ces matériaux sont exportés partout en Europe.

En France, grâce à une volonté politique ferme et aux efforts des gens de la filière Bois Forêt, la construction en bois a fait de prodigieuses avancées dans les cinq dernières années, tant dans le secteur non résidentiel que dans celui des logements multiples. D’aucuns estiment même que la créativité des architectes français a permis, plus récemment, de créer une architecture de bois plus intéressante que celle que l’on peut admirer en Autriche, terre par excellence des maisons en bois idylliques. En Lorraine, l’organisme Le Toit Vosgien a réalisé de nombreux logements sociaux, dont certains, même, à consommation d’énergie nette zéro ou certifiés Passivhaus, avec des matériaux biosourcés comme l’isolant de botte de paille, malheureusement encore interdits dans les immeubles publics québécois. Il va sans dire que les budgets attribués à la construction de logements sociaux au Québec sont insuffisants pour construire des enveloppes de bâtiments de même qualité. Une anecdote : l’organisme de logements sociaux parisien offre maintenant ses logements sans les armoires de cuisine : La plomberie est prête a recevoir, la céramique est posée au mur, mais le nouveau résidant ira choisir ses nouveaux modules de rangement dans une grande surface…

Les équipements de chauffage au bois européens sont également plus évolués que les nôtres. Ils permettent d’utiliser la biomasse de façon plus efficace et moins polluante et surtout plus aisée pour l’utilisateur, avec des systèmes d’alimentation automatique ou de livraison par citerne dotée d’une soufflerie, évitant les manipulations fastidieuses. Dans notre région de surplus hydroélectriques, la biomasse a moins la cote. Et pourtant, le bois-bûche, plus polluant, est toujours populaire, car il génère une activité économique importante et favorise les citoyens bûcherons.

BÂTIMENTS PASSIFS

La norme du Passivhaus Institute (PHI) exige qu’un bâtiment consomme moins de 50 kilowattheures par mètre carré par an (kWh/m2/an) au total, dont un maximum de 15 kWh/m2/an pour le chauffage et la climatisation, et il ne doit pas utiliser plus de 10 watts d’énergie par mètre carré d’espace habitable en pointe de chauffage. On parle donc de bâtiments à très haute efficacité énergétique qui misent sur l’isolation et l’étanchéité de l’enveloppe, l’utilisation maximale de l’énergie solaire et la récupération de la chaleur afin de rendre non nécessaire l’installation d’un appareil de chauffage sophistiqué et coûteux.

Cette norme et tout le processus de certification de bâtiments et produits mis en place par le PHI ont notamment permis la création de portes et fenêtres nettement plus performantes que ce qu’on retrouve couramment sur le marché nord-américain. La vaste majorité de nos manufacturiers s’inspirent de ce qui se fait en Europe, mais attendent que le « marché » d’ici soit mûr, entendez que la réglementation ait bougé. Il en va de même pour le ventilateur récupérateur de chaleur (VRC, appelé double-flux en France), qui, dans une maison passive, doit récupérer en tout temps au moins 75 % de la chaleur de l’air vicié pour la transférer à l’air frais. Les meilleurs appareils (comme les Zehnder fabriqués en Suisse) récupèrent plus de 90 % de la chaleur quand il fait -25 °C dehors.

Les divers sites Internet du PHI et de ses affiliés internationaux (références à la fin) sont une mine d’informations utiles, notamment sur les valeurs isolantes à viser dans tous tes types de climats pour atteindre les résultats requis pour obtenir la certification Passivhaus. Le Canadian Passive House Institute, établi au Québec, a formé plus de 250 professionnels du bâtiment et consommateurs en la matière depuis la fin 2010. Si le nombre des maisons certifiées au pays demeure marginal, le choc qu’elles provoquent chez certains, lui, ne l’est pas. La grande utilité de la démarche est d’illustrer très concrètement qu’il est très difficile de respecter le budget énergétique de chauffage très strict exigé pour obtenir cette certification avec les grandes surfaces vitrées qu’on nous sert ad nauseam en architecture contemporaine, et ce, même avec la résistance thermique minimale de R-7 exigée pour la fenestration Passivhaus. Un nouveau langage architectural est donc en cours de création autour des exigences du bâtiment passif. Force est d’admettre qu’il reste beaucoup à faire pour rendre attrayante l’architecture passive qui mise sur la fonctionnalité plutôt que l’esthétique.

L’ÉCLAIRAGE NATUREL ET ARTIFICIEL

Tous les Québécois qui ont voyagé en Europe ont constaté que les interrupteurs sur minuterie sont d’utilisation courante dans les escaliers et corridors communs des immeubles; cela est dû au coût élevé de l’énergie qui y prévaut. Dans les nouveaux bâtiments, la tendance est donc de chercher à éclairer naturellement tous les espaces afin de limiter l’utilisation de l’éclairage artificiel. Cette recherche de lumière ne se fait toutefois pas au détriment de l’efficacité énergétique, bien que les fenêtres habituellement installées dans les bâtiments européens ne soient pas toutes de type Passivhaus, loin s’en faut. On constate, par exemple, que pour économiser l’énergie dans certains nouveaux édifices de bureaux, on y travaille dans une ambiance très peu éclairée, qui ressemble à celle des aires de dodo des poupons en garderie…

LES VOLETS EXTERIEURS

L’utilisation de volets extérieurs est très courante en Europe depuis plusieurs années, autant pour réduire les besoins de climatisation et de chauffage que pour des raisons de sécurité. Heureusement, il existe maintenant au Québec des fabricants de ce type de volet que l’on pourra judicieusement utiliser. Bien sûr, le coût de pareils dispositifs est élevé et, pour un budget limité, il sera d’abord souhaitable de limiter la fenestration à des proportions raisonnables (par exemple, à environ 15 % de la superficie totale des murs extérieurs et en majorité du côté sud). Mais c’est bien à l’extérieur qu’il est souhaitable de situer les volets afin d’éviter la surchauffe estivale et la condensation qui se crée généralement sur les vitrages en hiver lorsque l’on place volets, stores, rideaux ou autres à l’intérieur.

EPURÉ, ENCORE ET ENCORE

Les Européens ne sont pas parfaits, bien sûr. La recherche du design épuré n’a aucune limite en architecture contemporaine et l’Europe est loin d’être en reste, d’autant que des siècles d’ornementation parfois débridée ont laissé des marques indélébiles. Dans ce qui semble être une compétition de tous les instants, c’est à qui livrera les volumes les plus « purs ». Malheureusement, cette recherche donne concrètement des résultats mitigés. Après quelques années, le vieillissement prématuré rappelle cruellement le rôle d’un simple solin ou d’une plinthe au bas d’un mur de plâtre blanc. En architecture, la pérennité n’est-elle pas une base de l’écologie? La finalité du projet doit trouver son équilibre dans l’harmonieux, le fonctionnel et le durable. La tendance n’est malheureusement pas à proposer l’équilibre, jugé morne, mais bien à livrer du plus spectaculaire.

LA DOUBLE PEAU

Pour pallier les imperfections de l’enveloppe du bâtiment (isolation insuffisante, matériaux fragiles, etc.), plusieurs concepteurs européens proposent le principe de la « double peau », soit le plus souvent un mur de verre situé à distance du revêtement principal, destiné à parfaire l’efficacité du bâtiment! Bien sûr, outre les coûts élevés de réalisation et d’entretien de cette double peau, créer un immeuble neuf selon ce principe tient véritablement du sophisme architectural. Cette tendance, bien réelle, n’en est pas une à retenir. Créer une seule peau, bien faite, est nettement plus avantageux. Par exemple, la paille non porteuse est insérée dans des caissons d’aggloméré, le tout gardant néanmoins les caractéristiques de diffusion recherchées.

L’intense « vivre ensemble » millénaire de la communauté européenne a permis d’élaborer des solutions diverses dont plusieurs sont sources d’inspiration. À nous de saisir et d’adapter le meilleur et de laisser ce qui l’est moins.

Pour en savoir davantage

lamaisonpassive.fr
passivehouse.ca passiv.de

Par André Bourassa
Publié le 01/22/15